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Photo du rédacteurAurélienV

Boonlake - Que vaut le nouveau Pfister ?

Un nouveau jeu d'Alexandre Pfister c'est toujours un événement chez de nombreux fidèles. L'auteur autrichien est parvenu à se tailler une réputation telle que chacune de ses nouvelles sorties est désormais scrutée, placée sous le radar de toute une communauté de joueurs. Alors que CloudAge vient à peine d'arriver dans nos rayons français, c'est déjà au tour de Boonlake de bénéficier d'une sortie nationale par l'intermédiaire de Super Meeple. Un jeu qui se matérialise par de l'exploration de tuiles, le positionnement et l'amélioration d'éléments aux couleurs de chaque joueur ainsi que la constitution d'un tableau de cartes servant de moteur économique. On y incarne des colonies déterminées à s'installer sur les rives d'un lac et à y prospérer malgré la concurrence. Ça c'est pour établir un pitch le plus resserré possible. Car dans les quelques lignes qui suivent j'essaierai avant toute chose de vous aider à déterminer votre compatibilité avec ce nouvel opus, que vous soyez familier ou non avec les précédentes créations de Pfister. Je vous propose de vous placer sous l'éclairage de vos préférences habituelles afin de passer en revue les réticences qui pourraient être exprimées, de mettre en lumière le cœur du design de Boonlake, pour finalement vous révéler pourquoi je suis finalement tout à fait enthousiaste.


A qui cela pourrait ne pas plaire ?


Vous aimez les jeux très rapidement assimilables. Sur la logique et le fonctionnement du jeu, vous n'aurez en principe pas de difficulté particulière. L'iconographie est plaisante et assez immédiate. En revanche les contraintes de placements des éléments, et plus encore les revenus qui leur sont associés, nécessitent véritablement une première partie d'apprentissage. Alors, certes, des rappels existent sur vos plateaux personnels, mais les recours à la règle peuvent se multiplier lors de votre première approche. Et vous n'êtes pas à l'abri d'une mauvaise interprétation dans le calcul des points en fin de parcours. Rien de dramatique en soi, mais si vous prévoyez d'y jouer une fois seulement chez des amis, cela pourrait ne pas suffire pour apprécier pleinement le jeu tant celui-ci gagne en évidence sur les parties suivantes.


Vous n'aimez pas les jeux trop longs. Essayez si possible de ne pas vous y essayer à quatre joueurs dans un premier temps. Mécaniquement cela se justifie pleinement, car Boonlake est un jeu à interaction permanente et l'ajout de joueurs est forcément bénéfique en ce sens. Mais il faut bien reconnaître que la longueur des parties s'accroit alors considérablement. Vous pouvez parfaitement avoir le profil du joueur qui aime passer trois heures à table autour d'un même jeu, mais si vous rajoutez la nécessité d'appréhender les règles dans ses moindres détails cela pourrait rendre votre première approche assez laborieuse. Sachez que, quoi qu'il advienne, Boonlake est un jeu qui nécessite une certaine présence autour de la table, pour des sessions en tête à tête approchant les deux heures et pouvant allez bien au-delà avec davantage de joueurs impliqués.


Vous connaissez bien la ludographie d'Alexandre Pfister et attendez du renouveau. Voilà un auteur qui excelle dans l'art de recycler quelques unes des ses formules passées les plus efficaces pour les amener sur de nouveaux territoires. Boonlake ne fera pas exception à cette tendance, il en est même peut-être la matérialisation la plus probante. Si vous ouvrez grand les narines vous serez rapidement frappés par quelques effluves bien familières. Pas mal de Maracaibo, un peu d'Expédition à Newdale, de Great Western Trail, les fidèles du travail d'Alexander Pfister ne seront pas dépaysés. Vous retrouverez notamment l'idée d'une progression en semi-liberté le long d'un parcours, ainsi que la double utilisation des cartes (en tant que ressource ou pièce d'un tableau), mais également l'élaboration d'un moteur économique dans la droite lignée de ces quelques références évoquées. Si vous en possédez déjà plusieurs, il est possible que vous estimiez que Boonlake ne constitue pas en soi une révolution suffisante pour susciter un désir d'achat. Prudence donc.



En quoi Boonlake est marquant.


Une belle idée centrale. Malgré les alertes précédemment exposées, précisons que Boonlake est aussi capable d'innover de fort belle manière. Oui le terreau semble tout à fait familier, mais la mécanique centrale est déjà nettement plus originale. Vos actions y sont sélectionnées par l'intermédiaire de plaquettes que l'on replace en queue de peloton après utilisation. Celles-ci renferment l'iconographie de vos possibilités pour le tour et plus vous les prendrez haut, plus elles vous autoriseront à progresser rapidement sur le parcours. Précisons que vous possédez un bateau qui évolue le long d'une piste qui dicte le tempo de la partie (exactement comme dans Maracaibo). Et que celle-ci est aussi remplie de bonus instantanés et rangés de sorte à être de plus en plus appétissants. Vous êtes donc invités à aller le plus loin possible, mais évidemment vous ne pouvez pas vous permettre de foncer tête baissée sans regarder la nature des actions associées. L'étendard de vos possibilités est donc ouvert en grand à chaque instant, ce qui offre automatiquement une belle profondeur de réflexion.


Et ce n'est pas tout. La main mise sur les ressources nécessaires est également déterminée par un trio d'idées qui fonctionne à merveille. Vous consumerez d'abord des unités de manière tout à fait classique, l'argent et vos habitants étant le moteur de toutes vos actions. Mais vous investirez également dans des usines offrant les matières premières nécessaires à la construction de vos cartes, et cela en disponibilité permanente. Enfin, et c'est là qu'est la belle idée thématique, vous pouvez également ajuster votre stock en vous ravitaillant par le biais de deux canoés que l'on peut repositionner à tout moment en face des compléments nécessaires. C'est gratuit si vous suivez le sens du courant, mais cela engendre un surcoût en évoluant dans le sens contraire. C'est plaisant, cela évite de se retrouver acculé par une stratégie trop prédéterminée et fait la part belle à nos facultés d'organisation.

Dans un même ordre d'idée, permettant d'échapper un court instant aux contraintes dictées par le jeu, vous pourrez acquérir des leviers à installer sur votre plateau personnel. Ceux-ci offrent une fois par manche des bonus, des réductions, des passe-droits et tout un tas d'options cumulables que vous serez ravis de pouvoir déclencher au moment opportun et de récupérer à chaque décompte intermédiaire. C'est malin et octroie un peu de souplesse dans un design pourtant très étriqué.



A qui cela devrait plaire ?


Les joueurs en recherche d'autosatisfaction permanente. L'un des gros points forts du jeu est sa relative absence de temps mort, surtout à deux joueurs. Avec sa mécanique de plaquettes riches en iconographie, le jeu s'offre un double bénéfice en terme d'occupation de l'instant. Tout d'abord elles vous garantissent de vivre à votre tour un moment fort en impact puisque dans une majorité de situations vous pourrez jouer une carte et réaliser deux actions dans la foulée. Là où de nombreux jeux préparent lentement un final épique, Boonlake mise plutôt sur l'optimisation de chaque instant et procure un sentiment d'autosatisfaction permanente. Evidemment, en contrepartie, si vous êtes en recherche d'explosivité, vous pourriez considérer cet aspect comme étant plutôt déceptif. A vous de voir où vous vous positionnez. Mais cette générosité d'actions réalisées à chaque tour s'accompagne d'un second bienfait puisqu'une partie d'entre elles est offerte à l'ensemble des joueurs autour de la table. Ce qui a le mérite de vous maintenir impliqué dans la partie à chaque instant, même pendant le tour de vos adversaires. Et ça se ressent sur le dynamisme de vos parties. Le fonctionnement général de Boonlake permet ainsi de se laisser porter par un flot de tentations constant qui initient un élan dès les premiers tours et nous emportent jusqu'au décompte final.

A noter qu'à quatre joueurs on perdra légèrement cette vivacité, mais il est tout à fait possible d'adopter une gymnastique collective afin de réaliser des actions en simultané puisque cinq des sept plaquettes d'actions le permettent. Cela nécessitera un peu de pédagogie avant de se lancer mais l'enchainement des parties doit aussi vous aider à gagner en fluidité et ainsi bénéficier de cet atout du jeu dans toutes les configurations annoncées sur la boite.


Les joueurs qui visent la maitrise plutôt que la créativité. Dans Boonlake vous ne serez pas confronté à des dizaines de stratégies possibles. D'ailleurs une majorité des composantes du jeu deviennent rapidement des impératifs et non pas simplement des options. Tout est affaire de lecture de vos besoins et d'optimisation de vos actions. Vous constaterez d'ailleurs que malgré l'épaisseur du tas de cartes, il en existe de nombreuses similaires, vous permettant ainsi de coller sans trop de difficulté à chacune des obligations du jeu sans vous en remettre entièrement au hasard. La victoire sera alors souvent promise au joueur qui saura le mieux évoluer en flux tendu et prendre ses décisions dans le tempo le plus adéquat. Boonlake est en quelque sorte un jeu de pilotage, plutôt qu'un jeu d'aventure, et ne permet pas réellement le hors piste. Vous devez y évoluer en évitant au maximum toute situation de surproduction. Il fait plutôt appel à vos qualités de gestionnaire par conséquent, plutôt qu'à votre aptitude à générer de l'abondance. Pour ces considérations, mais aussi pour le sentiment qu'il procure, il pourra notamment faire penser à Underwater Cities de Vladimír Suchý, avec des mécanismes malgré tout assez différents, à commencer par la bataille de positionnement sur le plateau central.


Au final Boonlake est une belle représentation du savoir faire d'Alexander Pfister. Un jeu au design carré, qui tire profit de quelques recettes déjà éprouvées pour servir un nouvel assemblage de mécanismes parfaitement agencés. L'expérience qu'il propose est celle d'un jeu exigeant dans sa maitrise mais dégageant beaucoup d'oxygène dans les options qu'il laisse aux joueurs pour s'y développer. Il engendre également beaucoup d'interaction avec vos adversaires, que ce soit par l'intermédiaire des actions que vous leur offrez, ou dans la bousculade générée par les nombreuses opportunités de placement. Tout ça génère une expérience finalement assez riche en sensations et qui parvient habilement à contrer le piège de la frustration dans lequel certains jeux de gestion tombent parfois. Pour toutes ces raisons, si aucune des retenues éventuelles n'est venue vous tacler par derrière, alors je vous le recommande chaudement.

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