Englouti sous la nouvelle vague de jeux à cocher qui a déferlé à l'automne 2021, Rolling Realms est peut-être la boite que vous avez vu passer d'un regard furtif sans parvenir à en comprendre la teneur exacte. Positionné en équilibre entre classicisme du genre et originalité de la forme, nous vous en proposons un éclairage autour d'une question centrale : Est-il fait pour vous ?
Un public restreint
Dès notre première approche on constate rapidement que le cercle de joueurs à qui s'adresse le jeu sera plutôt limité, et cela pour plusieurs raisons :
Une thématique vraiment clivante. Chacune des grilles de Rolling Realms rappelle un jeu du catalogue de Stonemaier Games, reprenant de manière minimaliste une mécanique extraite de chacune de ces références. Une idée originale, éventuellement séduisante pour ceux qui seraient des adeptes affirmés de cet éditeur, mais on ne peut pas dire que cela touchera un large public très facilement. Celui qui n'aura joué qu'à Wingspan jusqu'ici n'y trouvera pas de réelle attache. Attendez-vous donc pour beaucoup d'entre vous à être confronté à quelque chose d'avant tout très mécanique.
Un manque d'immédiateté. Une partie complète de Rolling Realms comporte trois manches de trois grilles chacune. Soit neuf mini-règles à expliquer pour une partie d'essai en plus des règles de base. Certes rien n'est réellement complexe, le jeu vous demande de lancer les dés et d'en reporter les résultats dans deux des trois royaumes présents devant vous. Chacun ayant ses contraintes et ses objectifs. Des considérations à prendre en compte en plus de certaines spécificités du jeu, qui, prises dans leur globalité, nécessitent au moins une petite phase d'adaptation. Ce n'est donc pas le genre de jeu qu'on va mettre en avant lorsque des amis sont de passage, ni réellement celui qu'on va pouvoir sortir si facilement avec de jeunes enfants. Rajoutons à cela une durée de session assez longue pour ce type de jeu, on dépasse allégrement la demi-heure pour une partie complète, surtout si on doit rajouter quelques explications.
Des sensations limitées. Là où Welcome instaure une notion de course avec nos adversaires, où Troyes Dice fait planer l'ombre d'une menace permanente, où Cartographers intègre de l'interaction directe, dans Rolling Realms vous resterez cantonné au plaisir du jeu à cocher 100% pur jus. Chacun dans votre coin, vous prendrez vos décisions entre deux gorgées de tisane. Autant dire que votre crainte principale sera éventuellement celle d'être amené à finir votre tasse avant la fin de votre manche, mais guère plus. C'est tranquille et rien ne viendra perturber votre progression autre que la diablerie éventuelle d'un hasard un peu taquin. Le jeu ne propose pas non plus de montée en puissance, les neuf tours de jeu qui constituent une manche complète s'effectuant de manière plutôt linéaire. Rolling Realms est un jeu autocentré, réclamant une concentration constante d'un bout à l'autre et pour lequel vous ne relèverez probablement la tête qu'au moment de dévoiler aux autres votre score final.
Vous l'aurez compris, n'espérez pas y voir le concept novateur qui pourrait vous amener vers le genre. Le portrait robot du véritable public à qui s'adresse le jeu affiche clairement le visage de l'adepte affirmé du lancer de dés et de la case à cocher. Rolling Realms ne se démarque pas suffisamment sur le fond pour constituer une exception. En revanche il possède plusieurs cordes à son arc et nous allons pouvoir nous y attarder dans la section suivante.
Quelle est donc la cible ?
Le joueur sensible à la qualité du produit. Le matériel est rarement un argument de vente pour un jeu à cocher, mais il faut pourtant bien reconnaître un ravissement sensoriel propre à Rolling Realms. Avec ses cartes robustes et élégantes, il se démarque de la concurrence. D'autant plus que les dés sont d'une taille et d'une tenue fort appréciables. Vous ne trouverez rien de comparable dans cette gamme de produit. Et si on ajoute à cela la mise à disposition de feutres dotés d'une prise en main et d'une précision d'écriture assez rares, vous obtenez là un package éditorial tout à fait remarquable. Une caractéristique qui, à elle seule, ne devrait pas déclencher un déplacement instantané chez votre ludicaire, mais qui a le mérite de poser des bases solides.
Le joueur stratégique. Cet argument devrait déjà peser un peu plus lourd dans la balance. Et si les réserves évoquées en début d'article ne vous ont pas définitivement laissé sur le bas-côté, que votre soif de challenge demeure intarissable, sachez que l'engagement stratégique qui vous sera demandé est réel. Tout d'abord vous constaterez que l'assemblage des royaumes constitue la principale originalité du jeu, et surtout que cette particularité s'accompagne de nombreux avantages qui vous donneront envie d'y revenir encore et encore. Avec ses onze cartes différentes, desquelles vous en sélectionnerez trois au début de chaque manche, vous vous retrouvez face à 165 configurations différentes possibles. Chacune d'elles pouvant vous amener à revoir vos certitudes passées sous un autre jour. Il faut bien avouer que c'est stimulant. Probablement plus encore quand on est amené à prendre en compte la deuxième véritable originalité du jeu : ses ressources et les pouvoirs qui y sont associés. Car bien que l'objectif principal d'une partie consiste à engranger un maximum d'étoiles, vous collecterez également au passage trois autres types d'éléments. Des ressources annexes dont l'utilisation vous offre des droits d'accès à différentes entorses aux règles de base. Il vous sera ainsi possible, moyennant dépense, de modifier la valeur d'un dé, d'en créer virtuellement un troisième, ou de vous acheter d'autres passe-droits confortables. Toutes ces options tendent à augmenter la portée de votre score final. La gymnastique cérébrale qui va avec est donc primordiale et représente une source d'autosatisfaction assurée.
Le joueur solo. Serait-il là le deuxième argument fort de Rolling Realms ? Celui qu'on attendait pas forcément sur le papier, à l'époque où le jeu n'était encore qu'un print & play destiné à servir la communauté de joueurs pendant les premiers confinements. Car il faut bien reconnaître au mode solo designé pour cette version physique un intérêt bien meilleur que la moyenne de ceux existants sur le marché. Celui-ci se présentant sous la forme d'un mini-golf, il décline 18 scénarios qui offrent autant de renouvellement que de transgressions aux principes de base. Oubliez les longues parties étalées sur trois manches, ici vous pourrez vous mesurer à des objectifs définis sur des manches isolées. Dix/quinze minutes la partie, vous pourrez les enchainer à l'envie afin de noter chacune de vos tentatives sur la feuille de score associée. Votre objectif ? Finir le parcours en un minimum de coups possibles, comme au golf, et selon trois niveaux de difficulté envisageables. Une offre inventive, rafraichissante, et bien pratique puisqu'on peut reprendre le fil de notre progression d'un claquement de doigts. Certaines manches vous mettront face à des puzzles engageants, vous offrant l'opportunité de réfléchir vos coups sans la pression de l'adversaire qui vous attend. Livré à vous-même vous voilà face à un mode de jeu évolutif qui va au-delà des espérances habituelles en la matière et dont la souplesse vous autorise à l'envisager en toutes occasions : dans le train, pendant les pubs TV, au bureau... C'est redoutable !
Si vous vous reconnaissez dans ces profils de joueurs évoqués, alors Rolling Realms est peut-être fait pour vous. Notons que cette sortie s'accompagne d'une promesse de mini-extensions qui compléteront le set de base au rythme des sorties à venir de l'éditeur. On n'a donc pas fini d'en parler.
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