Voilà un jeu qui a débarqué sur nos étals en échappant assez largement aux radars de toute une communauté de joueurs. Il aura fallu attendre la sortie de celui-ci pour que l'équipe du Passe Temps ouvre la voie et entame un buzz qui semble plutôt déterminé à s'installer. Le moment semble donc bien choisi pour vous aider à décortiquer un peu le phénomène. Dans les lignes qui suivent je vous présente le jeu : Un bref descriptif, les réticences possibles et bien sûr une analyse de ses points forts.
Un descriptif rapide.
Précisons tout d'abord qu'Almanac est un jeu de Scott Almes, auteur notamment connu pour la série des Tiny Epics, Boomerang ou Warp's Edge. Des jeux aux formats plutôt condensés donc. De l'épure il va aussi en être question avec celui-ci, mais davantage sur un plan mécanique que matériel. Car pour ce qui est du contenu de la boite, c'est assez fourni. Une collection bien garnie de cartes et jetons en tous genres, mais surtout un livre très robuste dont chacune des pages dessine un nouveau plateau. Ses reliures renferment l'ensemble des zones géographiques constituant le royaume imaginaire de Baeloria, une contrée fantastique bien éloignée de notre culture occidentale. Votre objectif : Rejoindre Dragonville et participer au marché final pour devenir le marchand le plus riche du continent.
Une partie d'Almanac comporte six manches, se déroulant chacune sur l'un des 17 lieux qu'il vous sera possible d'explorer. Vous êtes amené à y déposer vos ouvriers afin de déclencher les effets des cases sur lesquels vous choisirez de vous déployer. C'est là où la simplicité mécanique prend forme. L'iconographie est limpide et se renouvelle tout en douceur au fil des manches. On y trouve : De la collecte de marchandises, des opportunités de ventes, des possibilités de développement (agrandissement de votre caravane, contrats à remplir, équipement supplémentaire).
Lorsque les joueurs ont terminé de placer l'ensemble des leurs ouvriers (trois en début de partie, mais jusqu'à éventuellement six par la suite), la manche se termine et une mise aux enchères est effectuée pour déterminer l'identité du nouveau guide de l'expédition. Celui qui remporte l'enchère est alors maitre du destin de toute la tablée et choisit la future destination parmi celles indiquées par les deux embranchements qui sont systématiquement proposés aux aventuriers.
Une dernière phase a alors lieu, puisque chaque étape de migration d'un lieu à un autre est l'occasion d'effectuer une rencontre déterminée par le hasard du tirage. Vous y effectuerez des trouvailles tout à fait avantageuses ou aurez le malheur de croiser des êtres malveillants et des créatures à affronter. Ce processus va ainsi se répéter à cinq reprises, jusqu'à votre arrivée finale à l'un des deux marchés de la capitale Dragonville, lieu de toutes les additions et du sacre du vainqueur. Almanac est donc un jeu de pose d'ouvriers évolutif et riche en rebondissements.
A qui le jeu pourrait déplaire ?
Même s'il a tout du jeu calibré pour plaire à un maximum de joueurs, il reste important d'essayer de déterminer le profil des joueurs qui pourraient rester en retrait face à ce design assez singulier. Voici probablement les caractéristiques qui, si vous vous y reconnaissez, doivent éveiller votre méfiance :
Votre penchant pour les gros jeux de gestion est marqué. Sous ses airs accueillants et son emballage tout à fait familial, Almanac renferme pourtant un vrai jeu de gestion de ressources. Il requiert véritablement de mettre en place un moteur, presque sans en avoir l'air, ce qui octroie indéniablement une certaine profondeur de jeu à l'ensemble. Toutefois n'y venez pas en premier lieu pour cet argumentaire bien précis, surtout si vous êtes un adepte avéré des lignes de règles qui s'additionnent et de la réflexion à triple étages. Almanac ne présente pas de challenge très relevé en la matière.
Vous recherchez de l'affrontement, de l'interaction frontale. Bien qu'il repose avant toutes choses sur une mécanique très interactive, c'est davantage un terrain de jeu qu'un champ de bataille qui se dresse devant vous. Il faut voir en chacun des emplacements disponibles pratiquement autant d'occasions d'aller saisir une opportunité. Les blocages personnellement adressés n'y sont pas légion. Et même s'il sera occasionnellement possible de jouer un vilain tour face à un adversaire se pavanant avec de gros sabots, globalement on se tolère plutôt bien sur la route vers Dragonville.
Vous visez un besoin de maitrise permanent. Une bonne dose de planification à court et moyen terme, un soupçon de planification à long terme, Almanac requiert projection et organisation. Toutefois votre parcours sera ponctué d'un tas d'imprévus. Une case inaccessible, une rencontre déplaisante, un dé qui se dérobe, il est impossible de dicter votre destin à l'avance avec une précision métronomique. Sur votre route vers monts et déserts il est donc impératif que vous ayez à accepter les grains de sable qui viendront se loger dans votre mécanique.
Vous réclamez des parties sur un temps de jeu ramassé. Il sera généralement nécessaire de consacrer près de 30 minutes par joueur pour une partie complète. Ce qui pourrait être considéré comme une durée relativement élevée pour un jeu qui cible entre autres les familles de joueurs. Mais l'expérience en vaut la chandelle, c'est le temps qu'il faut pour que les dimensions narratives et évolutives du jeu prennent forme.
Vous ne vous sentez pas particulièrement l'âme d'un rêveur. Et si c'était sur ce point que la plus grosse bascule décisionnelle pouvait finalement s'effectuer ? Je vous détaillerai un peu plus bas à quel point le jeu est une invitation à l'évasion. A quel point il constitue un écrin théâtral et poétique. Mais, de fait, il pourrait ne pas parler équitablement à tout le monde, suivant votre inclination à vous abandonner pleinement ou non à ce genre de propos.
Les points forts du jeu.
Son matériel. Jouer dans un livre n'est certes pas une innovation en soi, mais on ne peut pas non plus affirmer que le marché ludique soit inondé de propositions de la sorte. Et pourtant le mérite est double. Non seulement il s'agit là du support idéal à l'intégration d'une dimension narrative. Quoi de mieux qu'un bouquin pour susciter la rêverie et l'imaginaire de son utilisateur ? Mais il est aussi l'outil parfait pour un jeu qui appelle à se réinventer. Le plaisir de la nouveauté s'en trouve ainsi prolongé bien au-delà de la partie découverte, puisqu'il vous faudra atteindre un certain nombre de sessions avant d'avoir parcouru l'ensemble des pages.
Sa narration facultative. Si vous voulez du contexte, vous l'aurez. Chaque lieu s'accompagne d'un descriptif, d'une ambiance, et il en est de même pour les rencontres effectuées. A vous d'assaisonner vos parties à votre convenance. Le support narratif fonctionne, octroie un peu plus encore de crédibilité et de corps à l'ensemble. Mais il n'est jamais indispensable. Aucune décision n'est à prendre au regard de ces éléments que vous pouvez choisir de lire à voix haute ou de taire en totalité sans craindre dans l'une ou l'autre de vos préférences de venir ternir la proposition ludique qui vous est offerte.
Son accessibilité. On commence déjà à le présenter comme le nouveau Welcome to the Moon. Un parallèle qui repose avant tout sur l'enchainement de mini-jeux qui y est proposé. Attention toutefois, car là où le célèbre jeu à cocher réclame un investissement fort à l'entame de chaque manche, avec de nombreuses nouvelles règles à assimiler, Almanac se contente la plupart du temps uniquement d'un double ajustement : Des nouvelles contraintes de placement ainsi qu'un nouveau type de cases exclusivement réservé à l'usage de la page en cours. Rien de plus. Ce qui fait que non seulement c'est très rapide à énoncer, mais surtout ça s'apprivoise d'un claquement de doigts, y compris lors de la toute première partie. Oubliées les interminables explications de règles et les parties que l'on découpe en plusieurs sessions.
Sa thématique. Elle est en réalité double, mais tout est soigné dans les moindres détails. Il y a tout d'abord le voyage. Là encore le fait d'évoluer dans un livre joue un rôle prépondérant. Vous y tracerez la route de votre récit, un peu comme dans les livres dont vous êtes le héros. Un itinéraire cousu de lieux qui se renouvelleront d'une partie à l'autre, au gré de vos choix, de vos envies, de votre stratégie. Tout cela s'accompagne donc d'une véritable impression de déplacements et de dépaysement. Ensuite il y a le commerce. Tout au long de votre parcours vous collecterez des marchandises et palperez leurs propriétés lucratives. Mais surtout vous avez un but final, vous rendre à l'un des marchés de Dragonville et y réaliser les opérations les plus fructueuses possibles. Tout cela le jeu le restitue formidablement bien. L'adéquation entre thématiques, matériel et mécaniques est totale. C'est d'ailleurs probablement là que constitue la vraie prouesse d'Almanac.
Sa vision du commerce itinérant. Une des premières belles inspirations du design du jeu réside dans le fait d'établir des valeurs fluctuantes aux marchandises. D'un lieu à l'autre les affaires à saisir ne seront pas les mêmes. Et il vous sera impératif d'effectuer des ventes à différents moments de la partie, afin de financer de précieuses acquisitions. Donc votre organisation, ainsi que le tempo insufflé à vos déplacements, seront décisifs pour que votre affaire prospère. Et tout ça est formidablement bien relayé par la seconde belle idée du jeu : le guide. Privilège du plus offrant à la fin de chaque manche. C'est lui qui consultera l'identité des marchandises valorisées par chacune des deux options géographiques suivantes et qui prendra donc la décision d'ajuster l'itinéraire en fonction de ses besoins. Toute cette vision judicieusement retranscrite d'un commerce en mouvement rend vos choix particulièrement impactant et retire une certaine forme d'évidence mathématique qui aurait pu rendre l'expérience générale froide et trop calculatoire. Là encore le jeu fait preuve de son caractère tout à fait vivant et s'affranchit des limites du genre.
Sa variabilité. Outre l'enchainement des mini-jeux qui donnera rarement les mêmes combinaisons d'une partie à l'autre, le jeu se repose également sur l'élaboration d'un moteur individuel. Les cartes caravanes disponibles en nombre limité à chaque manche offrent le recrutement de nouveaux ouvriers, mais aussi des espaces de stockage, des défenses face aux rencontres ainsi que des points de victoire. Le tout étant propre à chaque carte et donc sujet à votre appréciation en vue d'un éventuel investissement. Mais le renouvellement de votre expérience se forgera également par le biais des contrats à réaliser. Ces derniers offrent des bonus et autres passe-droits qui servent autant la profondeur de votre réflexion qu'ils apportent un regard nouveau sur la partie que vous êtes en train de mener.
Ses différentes configurations. A trois ou quatre joueurs, l'essence même du jeu de placement d'ouvriers ressort clairement. L'opportunisme est de mise et la bousculade vers les cases les plus prisées est accentuée. Mais en duel le jeu fait mieux que se défendre. Vous y avez un œil plus précis sur les mouvements de votre adversaire et certaines grilles offrent des ajustements spécialement indiqués pour que l'expérience ne perde pas de sa saveur. Résultat des courses, peu importe combien vous êtes, la promesse ludique reste parfaitement tenue.
Et mon opinion personnelle dans tout ça ?
Vu l'accueil réservé à ce jeu sous mon toit, vu l'émerveillement et l'émotion suscités, il m'était difficile de ne pas refermer cet article par une note bien personnelle. L'originalité, l'osmose mécanique et thématique, la beauté matérielle, tous ces éléments ont poussé notre ressenti dans une même direction. Vers l'instauration de moments rarement vécus en famille autour d'une boite de jeu. Almanac est de la trempe des jeux pour lesquels il devient difficile de réfréner mon enthousiasme. Le genre qui me semble taillé pour aller chercher les moins joueurs pour ce qu'il représente, tout en captivant les plus passionnés pour ce qu'il renferme. Almanac s'échappe ainsi à plus d'un titre du cadre habituel réservé au jeu de société étiqueté "familial". Et pour cela on devrait entendre parler de lui jusque dans les bilans de fin d'année.
AurélienV
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